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Gestion psychologique des proches après un décès Covid

INTRODUCTION

À l’ère du COVID-19, nous lançons Radio Cochin, des séquences courtes et des messages clairs sur le coronavirus pour nos collègues de ville.

Je suis Docteur Vincent Mallet, médecin à Cochin, Professeur des Universités de Paris et je m’entretiens avec le Docteur Sevan Minassian, psychiatre à la Maison des Adolescents de Cochin.

Retour d'expérience

DR MALLET : Docteur Minassian, merci de parler sur Radio Cochin. Vous avez une position très particulière dans la gestion de cette épidémie. 

Vous vous êtes mis à disposition des équipes COVID de Cochin en soutien. Cela fait donc 6 semaines maintenant. Pouvez-vous nous faire un retour d’expérience ?

DR SEVAN MINASSIAN : Dans le cadre de la cellule AVEC (Aller Vers les Equipes COVID), nous avons été plusieurs psychologues, psychiatres et pédiatres à nous mobiliser pour soutenir les équipes COVID. 

Dès le début de ces 6 semaines de crise, nous avons rencontré très régulièrement ces équipes qui interviennent au lit des patients. Nous nous sommes rapidement rendu compte de la particularité de cette situation et du fait qu’elle implique parfois des réactions assez fortes et considérées comme “anormales” si elles avaient eu lieu habituellement. 

Ces équipes se trouvent en grande difficulté face à leurs patients parce qu’ils se confrontent beaucoup plus à la mort, qu’ils ont l’impression de ne pas avoir le temps de faire leur travail comme ils le souhaitent et qu’ils n’arrivent pas à se projeter dans l’après. 

Quand ils rentrent chez eux, ils ont peur de contaminer leurs proches qui eux-mêmes ont peur d’être contaminés. Cela crée donc un isolement et ils se sentent en danger. 

Nous nous sommes rendu compte que ces équipes s’étaient très fortement mobilisées dans le cadre de réorganisations de service mais qu’elles étaient très fragilisées par ce contexte.

Dans le cadre de la cellule AVEC, nous n’avons pas été les seuls à nous mobiliser car des psychologues de différents services se sont également rendu disponibles pour les patients et leurs familles ou pour le lien aux proches des familles. 

En tout cas, ce réseau s’est mis en place autour de ceux qui étaient en première ligne, pour essayer de les aider au mieux.

DR MALLET : C’est intéressant d’aborder cela avec vous. Je pense à deux amis qui ont des enfants en bas âge. Leurs femmes et leurs enfants sont partis retourner chez leurs parents et eux ne voient presque plus leurs enfants à part peut-être un peu le week-end. 

En tout cas, ils ne peuvent pas s'approcher de la maison parce que les beaux parents ont plus de 70 ans, sont à risque. C'est lourd d'un point de vue psychologique.

DR SEVAN MINASSIAN : Oui, en plus cela ça peut amener à des réactions particulières.

Je me souviens d'une jeune infirmière intérimaire qui disait que son enfant allait le week-end chez le père. Le père avait peur que l'enfant soit contaminé. Il mettait à distance à cet enfant et il demandait à sa femme de ne plus le voir. 

Par ailleurs, le voisinage avait fait des pétitions en disant que la machine à laver tournait trop tous les jours et qu’ils avaient peur de la contamination parce qu’ils savaient qu’elle était infirmière dans une unité COVID.

Ce genre de réactions, mais aussi l’incompréhension et l’ignorance face à la situation provoquent inévitablement un isolement.

ET cela s’ajoute parfois à la crainte que le soignant à lui-même de contaminer ceux qu’il aime alors qu’il est dans l'action, finalement. Il y a donc beaucoup de choses qui ont joué dans la vie de ces soignants : dans le cas de travail et en dehors de leur travail.

DR MALLET : Vous êtes donc allés vers eux ?

DR SEVAN MINASSIAN : En fait nous restons à leur disposition et nous les voyons très régulièrement. Nous essayons de voir si certains ont plus besoin de nous. Dans ce cas, nous les ramenons vers des hotlines où des psychologues sont mis à disposition. 

Nous avons également mis en place d'autres modalités pour qu’ils puissent prendre soin d’eux avec des espaces bien-être et des activités (également en dehors du travail)pour leur permettre de penser aussi à eux et d'être en situation d'affronter cette épreuve de force. C’est très important.

DR MALLET : Vous dites que vous avez mis en place des hotlines, des systèmes où les équipes peuvent appeler.

DR SEVAN MINASSIAN : Oui, dès le début nous avons mis en place cette hotline dans les Hauts-de-Seine avec tous les psychologues de la Maison des Ados et d’autres. Cela a été organisé par nous et l'institution elle-même. 

Au départ, personne n'appelait parce que quand on est dans l'action, on ne prend pas le temps d'appeler une hotline pour parler de soi. D'autant que ça peut être difficile de parler de soi dans le moment de l'action, ça peut fragiliser.  Mais nous n’étions pas dans l'idée de psychiatriser ou de psychologiser. Ce n'était pas du tout l’objectif.

L'idée était vraiment d’être avec eux, de discuter de ce qui n'allait pas et de faire remonter ces choses sur le plan institutionnel :  faire remonter les questions sur les consignes contradictoires, les masques, les plannings, les difficultés techniques, sur les enjeux des équipes qui changeaient tous les jours. 

Le but était  de les faire remonter aux cadres ou chefs de service et de faire en sorte qu’il y ait plus d'huile dans les rouages. Il y avait donc aussi cet aspect institutionnel en plus d'être au contact des soignants de manière informelle. 

Nous étions présents avec les équipes de nuit, d’après-midi, du matin et du week-end idéalement.

DR MALLET : D’accord.. Aujourd’hui, les études épidémiologiques et les modélisations laissent entendre qu'il y aura une deuxième vague. J’imagine que vous et vos équipes avez beaucoup appris sur les dernières semaines et que vous êtes maintenant organisés. 

Cependant, comment vous préparez-vous à cette deuxième vague ?

DR SEVAN MINASSIAN : Lors de la première vague, c’est principalement le manque d'échéance et parfois d'informations qui a été le plus difficile. Mais maintenant, les chefs de service font des mails et passent les messages à tout le monde. De plus en plus d’aides-soignants et d'infirmiers ont maintenant des mails AP-HP.

Cela permet de diffuser des informations scientifiques, mais aussi des informations sur la suite qui nous permettent de savoir ce qu’il se passe et donc de nous tenir prêts. AUjourd’hui, nous savons qu’une deuxième vague est possible et il faut s'y préparer.

La deuxième vague implique l'idée qu'il va potentiellement falloir se remettre dans cette situation exceptionnelle de prise en charge des patients. Quand ils voient le déconfinement arriver, les soignants craignent donc à la fois ce retour à une situation épuisante en plus d’un potentiel surcroît de travail.

DR MALLET : D’accord. En tout cas vous, vous êtes prêts.

DR SEVAN MINASSIAN : Oui, avec la cellule AVEC, nous avons prévu de continuer au moins jusqu'en septembre. Nous allons aussi peut-être nous déployer dans d'autres hôpitaux du GH qui nous ont dit non au début et qui nous disent oui maintenant. 

Alors que la première vague est en train de passer, ils voient l’épuisement des soignants. En effet, c’est parfois seulement quand on relâche la pression qu’on sent le vrai contrecoup et la charge de ce qu'on a vécu.

DR MALLET : La bulle est uniquement à Cochin ? Je crois savoir qu'il y en a une à Saint-Joseph également.

DR SEVAN MINASSIAN : Exactement. À Cochin, nous avons mis en place un espace de bien-être avec de la sophrologie, du sport, du pilates, des massages. En bref, tout ce qui concourt au bien-être des soignants et ce toute la journée, jusqu'à tard, pour que toutes les équipes puissent en profiter. 

Et il y a beaucoup, beaucoup de passages en ce moment. Nous espérons que cela va se pérenniser par la suite.

Cela a été encadré et mis en place par nos équipes. Ce sont donc des idées de soignants pour les soignants en première ligne avec des bénévoles (kinés, instructeurs de sport, etc.) qui se mettent à disposition.

Il y a aussi des psychologues et des soignants qui sont là pour accueillir les soignants et discuter avec eux. Parfois, ils recueillent leurs difficultés personnelles et peuvent ainsi les orienter vers une prise en charge plus individuelle si besoin.

DR MALLET : Nous avons prévu d’interroger le docteur Blanchard à ce sujet.

DR SEVAN MINASSIAN : Oui notre coordinateur, et le Docteur Lefèvre.

Présentation du cas clinique

DR MALLET : Voici maintenant la question d’un médecin généraliste dans le 14ème arrondissement. J’ai vu hier une femme de 74 ans qui a malheureusement perdu son mari d'un COVID la semaine dernière. Je suivais ce patient depuis longtemps et je l'aimais beaucoup. 

Dans la conversation, j'ai eu le sentiment qu'elle me reprochait de façon assez pesante de ne pas avoir fait le nécessaire pour lui. Je ne me sentais pas bien. J'ai ne pas vraiment su quoi lui répondre. 

Avez-vous déjà été confronté à ce genre de situations ? Que me conseillez-vous pour la prochaine fois ?

Réponse et discussion

DR SEVAN MINASSIAN : Je crois que nous sommes tous confrontés à ce genre de situations et d’autant plus dans le cadre de cette pandémie car c'est une situation que nous découvrons et ne comprenons pas encore vraiment. 

Certain de mes collègues ont dénoncé cet état de fait en disant : « Mais pourquoi j'ai l'impression de ne pas pouvoir faire mon travail ? Pourquoi m’empêche-t-on de soigner mes patients ? »

Cette situation inouïe peut amener à avoir des réactions très fortes. Finalement, elles dénotent l'épuisement, la colère, et la détresse des patients qui, pour certains s'aggravent et pour d'autres n’ont pas la capacité d’être soulagés. Parce qu’il s’agit d’une maladie nouvelle.

Selon moi, il est important que les généralistes restent parfaitement eux-mêmes. J’essaie d’appliquer cette règle pour moi aussi car il m’arrive aussi de ne plus savoir comment réagir lorsque je me trouve pris dans une relation nouvelle qui me désarçonne. Le fait de s'adapter à une situation anormale, exceptionnelle, bouleverse notre pratique clinique et parfois aussi notre système de valeurs.

Ce qui se joue entre le patient – ou la famille du patient - et moi quand je ne sais pas comment faire pour le guérir, mais qu'il va falloir le soutenir quand même, est donc parfois insupportable pour moi.

Je peux alors ressentir de l’impuissance, me sentir dans l'incapacité d’agir comme je le souhaiterais (car je ne réussis pas à guérir le patient), imaginer que cela écorne mon image (car pendant des années j’ai été l’expert qui avait une réponse pour ce patient et pour sa famille), et avoir peur de perdre ma relation avec le patient (à cause du changement des habitudes de soins et de la distanciation due aux effets de la maladie).

Je me souviens de cette citation issue du Hussard sur le toit qui résume bien cette idée : « Y'en a pas un qui me donnerait le plaisir de le sauver ? ». Mais dire à un patient que nous ne savons pas, c'est aussi se mettre de son côté. D’une certaine manière, c’est lui dire qu'il n'y a pas les sachants d'un côté qui cachent des choses et les ignorants de l'autre. C’est leur dire que nous sommes ensemble dans le même bateau.

Nous ne savons pas ce qui va être efficace pour guérir et paradoxalement, le fait de le dire, raffermit la relation médecin-malade. Nous nous mettons du côté du patient et, contrairement à ce que nous pourrions penser, nous ne le trahissons justement pas.

Quand nous n’arrivons pas à guérir le patient, il est important d'accepter l’idée de le suivre et de le soutenir quand même. Nous pensons à tort que cela nous renvoie à notre impuissance alors que c'est justement le cœur de notre métier.

Il est très important de pouvoir être là à toutes les étapes de cette épreuve de force pour le patient. Le fait de dire que nous ne savons pas et que nous pouvons être la science sans savoir comment faire, est important. 

Cela permet d’ailleurs de ne pas se retrouver dans la situation où nous pensons que nous ne pouvons pas agir et donc se retrouver dans une grande détresse.  Parce qu’il est très difficile d'avoir l'impression de ne pas arriver à faire son travail et donc d’oublier le sens de notre métier.

DR MALLET : Il faut savoir dire je ne sais pas.

DR SEVAN MINASSIAN : Voilà. Si nous savons moins, nous savons bien malgré tout. Cela a un sens de suivre les patients. Même si nous leur disons que nous ne savons pas, nous pouvons les soulager dans un moment où il est normal de se sentir impuissant.

Message de fin

DR MALLET : Votre message pour ce cas clinique très précis de souffrance du médecin traitant vis-à-vis des proches qui ont malheureusement perdu leurs parents ou grands-parents ?

DR SEVAN MINASSIAN : Il faut leur dire que nous ne savions pas non plus comment faire pour le guérir de cette maladie mais que nous sommes amenés à les suivre là, tout de suite, s’ils le veulent. 

Finalement, nous pouvons rester là pour soutenir la famille dans l’après parce que nous sommes du même côté qu’eux. Nous sommes affectés par la même difficulté face à la maladie et aux patients. 

DR MALLET :Nous sommes ensemble à bord. Merci beaucoup. C'est très intéressant et je pense très important pour nos collègues qui nous écoutent d'avoir votre vision d’expert et d’en bénéficier.

Retranscription complète
Il n'y a pas encore de retranscription écrite pour cet épisode

À l’ère du COVID-19, nous lançons Radio Cochin, des séquences courtes et des messages clairs sur le coronavirus pour nos collègues de ville.

Je suis Docteur Vincent Mallet, médecin à Cochin, Professeur des Universités de Paris et je m’entretiens avec le Docteur Sevan Minassian, psychiatre à la Maison des Adolescents de Cochin.

DR MALLET : Docteur Minassian, merci de parler sur Radio Cochin. Vous avez une position très particulière dans la gestion de cette épidémie. 

Vous vous êtes mis à disposition des équipes COVID de Cochin en soutien. Cela fait donc 6 semaines maintenant. Pouvez-vous nous faire un retour d’expérience ?

DR SEVAN MINASSIAN : Dans le cadre de la cellule AVEC (Aller Vers les Equipes COVID), nous avons été plusieurs psychologues, psychiatres et pédiatres à nous mobiliser pour soutenir les équipes COVID. 

Dès le début de ces 6 semaines de crise, nous avons rencontré très régulièrement ces équipes qui interviennent au lit des patients. Nous nous sommes rapidement rendu compte de la particularité de cette situation et du fait qu’elle implique parfois des réactions assez fortes et considérées comme “anormales” si elles avaient eu lieu habituellement. 

Ces équipes se trouvent en grande difficulté face à leurs patients parce qu’ils se confrontent beaucoup plus à la mort, qu’ils ont l’impression de ne pas avoir le temps de faire leur travail comme ils le souhaitent et qu’ils n’arrivent pas à se projeter dans l’après. 

Quand ils rentrent chez eux, ils ont peur de contaminer leurs proches qui eux-mêmes ont peur d’être contaminés. Cela crée donc un isolement et ils se sentent en danger. 

Nous nous sommes rendu compte que ces équipes s’étaient très fortement mobilisées dans le cadre de réorganisations de service mais qu’elles étaient très fragilisées par ce contexte.

Dans le cadre de la cellule AVEC, nous n’avons pas été les seuls à nous mobiliser car des psychologues de différents services se sont également rendu disponibles pour les patients et leurs familles ou pour le lien aux proches des familles. 

En tout cas, ce réseau s’est mis en place autour de ceux qui étaient en première ligne, pour essayer de les aider au mieux.

DR MALLET : C’est intéressant d’aborder cela avec vous. Je pense à deux amis qui ont des enfants en bas âge. Leurs femmes et leurs enfants sont partis retourner chez leurs parents et eux ne voient presque plus leurs enfants à part peut-être un peu le week-end. 

En tout cas, ils ne peuvent pas s'approcher de la maison parce que les beaux parents ont plus de 70 ans, sont à risque. C'est lourd d'un point de vue psychologique.

DR SEVAN MINASSIAN : Oui, en plus cela ça peut amener à des réactions particulières.

Je me souviens d'une jeune infirmière intérimaire qui disait que son enfant allait le week-end chez le père. Le père avait peur que l'enfant soit contaminé. Il mettait à distance à cet enfant et il demandait à sa femme de ne plus le voir. 

Par ailleurs, le voisinage avait fait des pétitions en disant que la machine à laver tournait trop tous les jours et qu’ils avaient peur de la contamination parce qu’ils savaient qu’elle était infirmière dans une unité COVID.

Ce genre de réactions, mais aussi l’incompréhension et l’ignorance face à la situation provoquent inévitablement un isolement.

ET cela s’ajoute parfois à la crainte que le soignant à lui-même de contaminer ceux qu’il aime alors qu’il est dans l'action, finalement. Il y a donc beaucoup de choses qui ont joué dans la vie de ces soignants : dans le cas de travail et en dehors de leur travail.

DR MALLET : Vous êtes donc allés vers eux ?

DR SEVAN MINASSIAN : En fait nous restons à leur disposition et nous les voyons très régulièrement. Nous essayons de voir si certains ont plus besoin de nous. Dans ce cas, nous les ramenons vers des hotlines où des psychologues sont mis à disposition. 

Nous avons également mis en place d'autres modalités pour qu’ils puissent prendre soin d’eux avec des espaces bien-être et des activités (également en dehors du travail)pour leur permettre de penser aussi à eux et d'être en situation d'affronter cette épreuve de force. C’est très important.

DR MALLET : Vous dites que vous avez mis en place des hotlines, des systèmes où les équipes peuvent appeler.

DR SEVAN MINASSIAN : Oui, dès le début nous avons mis en place cette hotline dans les Hauts-de-Seine avec tous les psychologues de la Maison des Ados et d’autres. Cela a été organisé par nous et l'institution elle-même. 

Au départ, personne n'appelait parce que quand on est dans l'action, on ne prend pas le temps d'appeler une hotline pour parler de soi. D'autant que ça peut être difficile de parler de soi dans le moment de l'action, ça peut fragiliser.  Mais nous n’étions pas dans l'idée de psychiatriser ou de psychologiser. Ce n'était pas du tout l’objectif.

L'idée était vraiment d’être avec eux, de discuter de ce qui n'allait pas et de faire remonter ces choses sur le plan institutionnel :  faire remonter les questions sur les consignes contradictoires, les masques, les plannings, les difficultés techniques, sur les enjeux des équipes qui changeaient tous les jours. 

Le but était  de les faire remonter aux cadres ou chefs de service et de faire en sorte qu’il y ait plus d'huile dans les rouages. Il y avait donc aussi cet aspect institutionnel en plus d'être au contact des soignants de manière informelle. 

Nous étions présents avec les équipes de nuit, d’après-midi, du matin et du week-end idéalement.

DR MALLET : D’accord.. Aujourd’hui, les études épidémiologiques et les modélisations laissent entendre qu'il y aura une deuxième vague. J’imagine que vous et vos équipes avez beaucoup appris sur les dernières semaines et que vous êtes maintenant organisés. 

Cependant, comment vous préparez-vous à cette deuxième vague ?

DR SEVAN MINASSIAN : Lors de la première vague, c’est principalement le manque d'échéance et parfois d'informations qui a été le plus difficile. Mais maintenant, les chefs de service font des mails et passent les messages à tout le monde. De plus en plus d’aides-soignants et d'infirmiers ont maintenant des mails AP-HP.

Cela permet de diffuser des informations scientifiques, mais aussi des informations sur la suite qui nous permettent de savoir ce qu’il se passe et donc de nous tenir prêts. AUjourd’hui, nous savons qu’une deuxième vague est possible et il faut s'y préparer.

La deuxième vague implique l'idée qu'il va potentiellement falloir se remettre dans cette situation exceptionnelle de prise en charge des patients. Quand ils voient le déconfinement arriver, les soignants craignent donc à la fois ce retour à une situation épuisante en plus d’un potentiel surcroît de travail.

DR MALLET : D’accord. En tout cas vous, vous êtes prêts.

DR SEVAN MINASSIAN : Oui, avec la cellule AVEC, nous avons prévu de continuer au moins jusqu'en septembre. Nous allons aussi peut-être nous déployer dans d'autres hôpitaux du GH qui nous ont dit non au début et qui nous disent oui maintenant. 

Alors que la première vague est en train de passer, ils voient l’épuisement des soignants. En effet, c’est parfois seulement quand on relâche la pression qu’on sent le vrai contrecoup et la charge de ce qu'on a vécu.

DR MALLET : La bulle est uniquement à Cochin ? Je crois savoir qu'il y en a une à Saint-Joseph également.

DR SEVAN MINASSIAN : Exactement. À Cochin, nous avons mis en place un espace de bien-être avec de la sophrologie, du sport, du pilates, des massages. En bref, tout ce qui concourt au bien-être des soignants et ce toute la journée, jusqu'à tard, pour que toutes les équipes puissent en profiter. 

Et il y a beaucoup, beaucoup de passages en ce moment. Nous espérons que cela va se pérenniser par la suite.

Cela a été encadré et mis en place par nos équipes. Ce sont donc des idées de soignants pour les soignants en première ligne avec des bénévoles (kinés, instructeurs de sport, etc.) qui se mettent à disposition.

Il y a aussi des psychologues et des soignants qui sont là pour accueillir les soignants et discuter avec eux. Parfois, ils recueillent leurs difficultés personnelles et peuvent ainsi les orienter vers une prise en charge plus individuelle si besoin.

DR MALLET : Nous avons prévu d’interroger le docteur Blanchard à ce sujet.

DR SEVAN MINASSIAN : Oui notre coordinateur, et le Docteur Lefèvre.

DR MALLET : Voici maintenant la question d’un médecin généraliste dans le 14ème arrondissement. J’ai vu hier une femme de 74 ans qui a malheureusement perdu son mari d'un COVID la semaine dernière. Je suivais ce patient depuis longtemps et je l'aimais beaucoup. 

Dans la conversation, j'ai eu le sentiment qu'elle me reprochait de façon assez pesante de ne pas avoir fait le nécessaire pour lui. Je ne me sentais pas bien. J'ai ne pas vraiment su quoi lui répondre. 

Avez-vous déjà été confronté à ce genre de situations ? Que me conseillez-vous pour la prochaine fois ?

DR SEVAN MINASSIAN : Je crois que nous sommes tous confrontés à ce genre de situations et d’autant plus dans le cadre de cette pandémie car c'est une situation que nous découvrons et ne comprenons pas encore vraiment. 

Certain de mes collègues ont dénoncé cet état de fait en disant : « Mais pourquoi j'ai l'impression de ne pas pouvoir faire mon travail ? Pourquoi m’empêche-t-on de soigner mes patients ? »

Cette situation inouïe peut amener à avoir des réactions très fortes. Finalement, elles dénotent l'épuisement, la colère, et la détresse des patients qui, pour certains s'aggravent et pour d'autres n’ont pas la capacité d’être soulagés. Parce qu’il s’agit d’une maladie nouvelle.

Selon moi, il est important que les généralistes restent parfaitement eux-mêmes. J’essaie d’appliquer cette règle pour moi aussi car il m’arrive aussi de ne plus savoir comment réagir lorsque je me trouve pris dans une relation nouvelle qui me désarçonne. Le fait de s'adapter à une situation anormale, exceptionnelle, bouleverse notre pratique clinique et parfois aussi notre système de valeurs.

Ce qui se joue entre le patient – ou la famille du patient - et moi quand je ne sais pas comment faire pour le guérir, mais qu'il va falloir le soutenir quand même, est donc parfois insupportable pour moi.

Je peux alors ressentir de l’impuissance, me sentir dans l'incapacité d’agir comme je le souhaiterais (car je ne réussis pas à guérir le patient), imaginer que cela écorne mon image (car pendant des années j’ai été l’expert qui avait une réponse pour ce patient et pour sa famille), et avoir peur de perdre ma relation avec le patient (à cause du changement des habitudes de soins et de la distanciation due aux effets de la maladie).

Je me souviens de cette citation issue du Hussard sur le toit qui résume bien cette idée : « Y'en a pas un qui me donnerait le plaisir de le sauver ? ». Mais dire à un patient que nous ne savons pas, c'est aussi se mettre de son côté. D’une certaine manière, c’est lui dire qu'il n'y a pas les sachants d'un côté qui cachent des choses et les ignorants de l'autre. C’est leur dire que nous sommes ensemble dans le même bateau.

Nous ne savons pas ce qui va être efficace pour guérir et paradoxalement, le fait de le dire, raffermit la relation médecin-malade. Nous nous mettons du côté du patient et, contrairement à ce que nous pourrions penser, nous ne le trahissons justement pas.

Quand nous n’arrivons pas à guérir le patient, il est important d'accepter l’idée de le suivre et de le soutenir quand même. Nous pensons à tort que cela nous renvoie à notre impuissance alors que c'est justement le cœur de notre métier.

Il est très important de pouvoir être là à toutes les étapes de cette épreuve de force pour le patient. Le fait de dire que nous ne savons pas et que nous pouvons être la science sans savoir comment faire, est important. 

Cela permet d’ailleurs de ne pas se retrouver dans la situation où nous pensons que nous ne pouvons pas agir et donc se retrouver dans une grande détresse.  Parce qu’il est très difficile d'avoir l'impression de ne pas arriver à faire son travail et donc d’oublier le sens de notre métier.

DR MALLET : Il faut savoir dire je ne sais pas.

DR SEVAN MINASSIAN : Voilà.  Si nous savons moins, nous savons bien malgré tout. Cela a un sens de suivre les patients. Même si nous leur disons que nous ne savons pas, nous pouvons les soulager dans un moment où il est normal de se sentir impuissant.

DR MALLET : Votre message pour ce cas clinique très précis de souffrance du médecin traitant vis-à-vis des proches qui ont malheureusement perdu leurs parents ou grands-parents ?

DR SEVAN MINASSIAN : Il faut leur dire que nous ne savions pas non plus comment faire pour le guérir de cette maladie mais que nous sommes amenés à les suivre là, tout de suite, s’ils le veulent. 

Finalement, nous pouvons rester là pour soutenir la famille dans l’après parce que nous sommes du même côté qu’eux. Nous sommes affectés par la même difficulté face à la maladie et aux patients. 

DR MALLET : Nous sommes ensemble à bord. Merci beaucoup. C'est très intéressant et je pense très important pour nos collègues qui nous écoutent d'avoir votre vision d’expert et d’en bénéficier.

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