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Quid d’un traitement par hydroxychloroquine et azithromycine

INTRODUCTION

À l’ère du COVID-19, nous lançons Radio Cochin, des séquences courtes et des messages clairs sur le coronavirus pour nos collègues de ville. 

Je suis Docteur Vincent Mallet, médecin à Cochin, Professeur des Universités de Paris et je m’entretiens avec le Professeur Jacques Blacher, Chef du Centre de Diagnostic et de Thérapeutique de l’Hôtel-Dieu.

Retour d'expérience


Présentation du cas clinique

DR MALLET : Je suis médecin généraliste à Bordeaux et j’écoute Radio Cochin. 

Je vois un patient de 75 ans dont l’épouse est hospitalisée pour une infection sévère à COVID-19 au CHU de Bordeaux. Ce monsieur est ancien fumeur avec un IMC à 31,5 kg/m2.

Je me pose la question de lui donner un traitement préventif aux infections graves à COVID-19 par hydroxychloroquine et azithromycine. 

J’en entends beaucoup parler et je sais qu’aujourd’hui nous avons quasiment l’autorisation de les prescrire. Qu’en pensez-vous ?

Réponse et discussion

PR JACQUES BLACHER : C’est un point important. Nous avons tous énormément de patients, collègues, correspondants qui nous appellent pour savoir s’il y a lieu de les prescrire. 

De prescrire l’un, l’autre, ou les deux à des patients atteints, hospitalisés, en réanimation et même éventuellement en prévention à des patients à risque. Votre patient âgé, obèse, insuffisant respiratoire, est en effet clairement à risque si jamais il devait passer en réanimation. 

Mais aujourd’hui, quelles informations avons-nous par rapport à l’efficacité de l’hydroxychloroquine ? 

J’aurais été très heureux d’un traitement efficace contre le coronavirus mais nous avons malheureusement très peu d’informations. 

Nous avons une première étude observationnelle du Professeur Raoult à Marseille qui semble indiquer que les résultats chez des premiers patients montrent une évolution plutôt positive. Mais il n’y a pas de groupe contrôle, ou du moins un groupe contrôle très peu comparable et tout le monde a expliqué que cette étude était de qualité médiocre.

Nous avons une deuxième étude observationnelle de cette même équipe de Marseille avec cette fois 80 patients traités par hydroxychloroquine et azithromycine. Dans cette étude, il n’y a malheureusement pas de groupe contrôle. 

De toute façon, nous nous disons que l’évolution de ces malades est assez proche de l’évolution naturelle de la maladie : 80 % des patients traités vont bien, 15 % sont sous oxygène, 4 % en réanimation, 1 % de mort. 

Ce qu’apporte cette étude est la médiatisation de la charge virale à 13 jours après le début des symptômes chez 83% des patients, et à 14 jours pour 93%.

Est-ce l’effet de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine ou est-ce l’effet naturel de la maladie ? Il est difficile de le savoir.

Aujourd’hui, nous avons un seul essai randomisé qui vient d’être publié. Il a eu lieu à Shanghai avec une association d’hydroxychloroquine et d’azithromycine. Il y a 15 patients dans chacun des deux groupes, mais malheureusement, aucun effet de traitement sur la charge virale ou sur la clinique n’a été décrit. Même si cet essai est randomisé, il n’a pas la puissance suffisante de montrer quoi que ce soit. 

Faut-il donc suivre le conseil de l’équipe de Marseille qui pose cette question : « A-t-on besoin d’un essai randomisé pour montrer que le parachute est efficace lorsque l’on saute d’un avion en vol ? ».

Le message est clair : à partir du moment où nous n’avons rien à proposer à ces patients, en dehors des mesures classiques de préventions thromboemboliques, d’oxygénothérapies, de traitements des surinfections, de ventilations mécaniques si besoin, n’y a-t-il pas lieu de donner un traitement – qui certes à un niveau de preuve très faible – plutôt que rien ?

Il faut aborder un point majeur avec tous les médecins et patients qui posent cette question : ce traitement n’est pas anodin. L’hydroxychloroquine est un médicament dangereux, surtout à la posologie à laquelle elle est donnée dans cette pathologie. 

Nous savons que l’hydroxychloroquine va avoir des effets électrocardiographiques or ces effets sont principalement l’allongement de la repolarisation cardiaque, donc du QT. Cet allongement de la repolarisation expose le patient à faire des troubles du rythme ventriculaire graves, c’est-à-dire des torsades de pointes, des tachycardies ventriculaires et des fibrillations ventriculaires. 

Quand je dis graves, je dis graves et mortelles.

Le rapport bénéfice très hypothétique et risque très réel me semble très défavorable. 

Ce risque rythmique à l’étage ventriculaire est majoré chez les patients qui ont une hypokaliémie et il semblerait que les patients COVID soient très hypokaliémiques pour toute une série de raisons. 

Par ailleurs, l’azithromycine est un macrolide, ce qui provoque des effets digestifs de type diarrhée. L’additionner à l’hydroxychloroquine ajouterait donc encore potentiellement de l’hypokaliémie. 

Bref, aujourd’hui il faut vraiment considérer que le rapport bénéfice très hypothétique/risque, est défavorable, et que le bénéfice n’est pas suffisamment étayé pour contrer les effets adverses.

Enfin, il faut vraiment attendre les résultats des premières études randomisées avec l’hydroxychloroquine qui sont aujourd’hui en cours, qui arriveront dans quelques jours ou quelques semaines. 

Donc encore une fois, primum non nocere, ne mettons pas en place un traitement qui a un potentiel bénéfique extrêmement faible par rapport à un potentiel maléfique très élevé.

Message de fin

DR MALLET : En tant que responsable du Centre de Thérapeutique de l’Hôtel-Dieu, votre message est très clair : ne pas aggraver le cas des patients. 

Surtout avec ces médicaments qui peuvent être toxiques, cardio-toxiques et potentiellement associés à une mortalité extra-respiratoire dans le cas de notre patient qui est fragile. Ce patient est notamment à risque d’avoir une cardiopathie occulte que je peux aggraver si je lui donne ce traitement. 

PR JACQUES BLACHER : Oui exactement.

DR MALLET : Merci beaucoup. Je ne prescrirai donc pas d’hydroxychloroquine ou d’azithromycine avant d’avoir un niveau de preuve plus élevé, même si le gouvernement les a mises à disposition. 

Enfin, j’attendrai avec impatience les résultats des études contrôlées pour être sûr que je fais du bien à mon patient. Notamment à visées préventives. 

Ce que je peux lui dire de mieux : se laver les mains et faire très attention. C’est bien cela ? 

PR JACQUES BLACHER : Et de rester confiné.

DR MALLET : Évidemment. Bon courage, merci beaucoup pour ce message clair !

Retranscription complète
Il n'y a pas encore de retranscription écrite pour cet épisode

À l’ère du COVID-19, nous lançons Radio Cochin, des séquences courtes et des messages clairs sur le coronavirus pour nos collègues de ville. 

Je suis Docteur Vincent Mallet, médecin à Cochin, Professeur des Universités de Paris et je m’entretiens avec le Professeur Jacques Blacher, Chef du Centre de Diagnostic et de Thérapeutique de l’Hôtel-Dieu.

DR MALLET : Je suis médecin généraliste à Bordeaux et j’écoute Radio Cochin. 

Je vois un patient de 75 ans dont l’épouse est hospitalisée pour une infection sévère à COVID-19 au CHU de Bordeaux. Ce monsieur est ancien fumeur avec un IMC à 31,5 kg/m2.

Je me pose la question de lui donner un traitement préventif aux infections graves à COVID-19 par hydroxychloroquine et azithromycine. 

J’en entends beaucoup parler et je sais qu’aujourd’hui nous avons quasiment l’autorisation de les prescrire. Qu’en pensez-vous ? 

PR JACQUES BLACHER : C’est un point important. Nous avons tous énormément de patients, collègues, correspondants qui nous appellent pour savoir s’il y a lieu de les prescrire. 

De prescrire l’un, l’autre, ou les deux à des patients atteints, hospitalisés, en réanimation et même éventuellement en prévention à des patients à risque. Votre patient âgé, obèse, insuffisant respiratoire, est en effet clairement à risque si jamais il devait passer en réanimation. 

Mais aujourd’hui, quelles informations avons-nous par rapport à l’efficacité de l’hydroxychloroquine ? 

J’aurais été très heureux d’un traitement efficace contre le coronavirus mais nous avons malheureusement très peu d’informations. 

Nous avons une première étude observationnelle du Professeur Raoult à Marseille qui semble indiquer que les résultats chez des premiers patients montrent une évolution plutôt positive. Mais il n’y a pas de groupe contrôle, ou du moins un groupe contrôle très peu comparable et tout le monde a expliqué que cette étude était de qualité médiocre.

Nous avons une deuxième étude observationnelle de cette même équipe de Marseille avec cette fois 80 patients traités par hydroxychloroquine et azithromycine. Dans cette étude, il n’y a malheureusement pas de groupe contrôle. 

De toute façon, nous nous disons que l’évolution de ces malades est assez proche de l’évolution naturelle de la maladie : 80 % des patients traités vont bien, 15 % sont sous oxygène, 4 % en réanimation, 1 % de mort. 

Ce qu’apporte cette étude est la médiatisation de la charge virale à 13 jours après le début des symptômes chez 83% des patients, et à 14 jours pour 93%.

Est-ce l’effet de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine ou est-ce l’effet naturel de la maladie ? Il est difficile de le savoir.

Aujourd’hui, nous avons un seul essai randomisé qui vient d’être publié. Il a eu lieu à Shanghai avec une association d’hydroxychloroquine et d’azithromycine. Il y a 15 patients dans chacun des deux groupes, mais malheureusement, aucun effet de traitement sur la charge virale ou sur la clinique n’a été décrit. Même si cet essai est randomisé, il n’a pas la puissance suffisante de montrer quoi que ce soit. 

Faut-il donc suivre le conseil de l’équipe de Marseille qui pose cette question : « A-t-on besoin d’un essai randomisé pour montrer que le parachute est efficace lorsque l’on saute d’un avion en vol ? ».

Le message est clair : à partir du moment où nous n’avons rien à proposer à ces patients, en dehors des mesures classiques de préventions thromboemboliques, d’oxygénothérapies, de traitements des surinfections, de ventilations mécaniques si besoin, n’y a-t-il pas lieu de donner un traitement – qui certes à un niveau de preuve très faible – plutôt que rien ?

Il faut aborder un point majeur avec tous les médecins et patients qui posent cette question : ce traitement n’est pas anodin. L’hydroxychloroquine est un médicament dangereux, surtout à la posologie à laquelle elle est donnée dans cette pathologie. 

Nous savons que l’hydroxychloroquine va avoir des effets électrocardiographiques or ces effets sont principalement l’allongement de la repolarisation cardiaque, donc du QT. Cet allongement de la repolarisation expose le patient à faire des troubles du rythme ventriculaire graves, c’est-à-dire des torsades de pointes, des tachycardies ventriculaires et des fibrillations ventriculaires. 

Quand je dis graves, je dis graves et mortelles.

Le rapport bénéfice très hypothétique et risque très réel me semble très défavorable. 

Ce risque rythmique à l’étage ventriculaire est majoré chez les patients qui ont une hypokaliémie et il semblerait que les patients COVID soient très hypokaliémiques pour toute une série de raisons. 

Par ailleurs, l’azithromycine est un macrolide, ce qui provoque des effets digestifs de type diarrhée. L’additionner à l’hydroxychloroquine ajouterait donc encore potentiellement de l’hypokaliémie. 

Bref, aujourd’hui il faut vraiment considérer que le rapport bénéfice très hypothétique/risque, est défavorable, et que le bénéfice n’est pas suffisamment étayé pour contrer les effets adverses.

Enfin, il faut vraiment attendre les résultats des premières études randomisées avec l’hydroxychloroquine qui sont aujourd’hui en cours, qui arriveront dans quelques jours ou quelques semaines. 

Donc encore une fois, primum non nocere, ne mettons pas en place un traitement qui a un potentiel bénéfique extrêmement faible par rapport à un potentiel maléfique très élevé.

DR MALLET : En tant que responsable du Centre de Thérapeutique de l’Hôtel-Dieu, votre message est très clair : ne pas aggraver le cas des patients. 

Surtout avec ces médicaments qui peuvent être toxiques, cardio-toxiques et potentiellement associés à une mortalité extra-respiratoire dans le cas de notre patient qui est fragile. Ce patient est notamment à risque d’avoir une cardiopathie occulte que je peux aggraver si je lui donne ce traitement. 

PR JACQUES BLACHER : Oui exactement.

DR MALLET : Merci beaucoup. Je ne prescrirai donc pas d’hydroxychloroquine ou d’azithromycine avant d’avoir un niveau de preuve plus élevé, même si le gouvernement les a mises à disposition. 

Enfin, j’attendrai avec impatience les résultats des études contrôlées pour être sûr que je fais du bien à mon patient. Notamment à visées préventives. 

Ce que je peux lui dire de mieux : se laver les mains et faire très attention. C’est bien cela ? 

PR JACQUES BLACHER : Et de rester confiné.

DR MALLET : Évidemment. Bon courage, merci beaucoup pour ce message clair !

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