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Patient de 60 ans sous irbésartan avec hypertension et diabète

INTRODUCTION

À l’ère du COVID-19, nous lançons Radio Cochin, des séquences courtes et des messages clairs sur le coronavirus pour nos collègues de ville. 

Je suis Docteur Vincent Mallet, médecin à Cochin, Professeur des Universités de Paris et je m’entretiens avec le Professeur Jacques Blacher, Chef du Centre de Diagnostic et de Thérapeutique de l’Hôtel-Dieu.

Retour d'expérience

DR MALLET : Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne votre centre et en quoi cette situation de crise a modifié votre activité ? 

PR JACQUES BLACHER : Cette crise a énormément modifié notre quotidien. Dans le centre de diagnostic nous avons différentes unités qui sont toutes ambulatoires, avec des patients qui viennent en consultations ou en hôpital de jour. 

Depuis la crise COVID nous avons extrêmement limité la venue des patients à l’hôpital en raison du confinement. 

Nous avons maintenu seulement la venue des patients instables ou nécessitant, suite à une téléconsultation, des examens cliniques, des mesures de pressions artérielles à réaliser à l’hôpital ou des réalisations d’électrocardiogrammes. 

Notre activité est réduite principalement à des consultations téléphoniques, avec environ 10% des patients qui nécessitent tout de même d’être vus dans un deuxième temps. C’est le cas pour les patients de l’unité cardiovasculaire et de l’unité VIH. 

En revanche, ce n’est pas le cas pour une unité un peu spécifique de notre service qui est la PASS, Permanence d’Accès aux Soins de Santé pour les patients précaires. Pour ces patients, nous faisons quelques consultations téléphoniques mais toujours beaucoup en présentiel. Ils viennent à l’hôpital pour différentes pathologies dont les pathologies COVID. 

Nous imaginons aisément que lorsque les patients vivent en foyers d’hébergements, le fait de savoir s’ils ont une atteinte COVID est importante pour eux et l’ensemble du foyer.

DR MALLET : Le centre de Diagnostic et de Thérapeutique comporte donc une unité spécialisée pour la prise en charge des patients précaires. Avez-vous mis en place des mesures de sanctuarisation et d’identification pour tester les malades ?

PR JACQUES BLACHER : Ces patients précaires viennent pour toute une série de pathologies car nous savons qu’ils n’ont pas d’autres alternatives qu’une prise en charge dans des structures dédiées. 

Ce sont des structures par ailleurs médico-sociales qui leur permettent une consultation médicale mais aussi avec un travailleur social pour ouvrir des droits, faire une demande de PASS, aider à trouver des aides ou un hébergement, entre autres.

Ces patients continuent donc à venir à l’Hôtel-Dieu. Dans ces unités PASS nous pouvons avoir une consultation médicale, sociale, mais aussi des explorations complémentaires biologiques ou radiologiques si besoin. Enfin, aussi une délivrance de médicaments pour les pathologies aigües ou chroniques de ces patients. 

Il est donc important de rester ouverts pour la prise en charge de ces patients qui, encore une fois, ne peut pas se faire ailleurs que dans ces unités PASS.

DR MALLET : C’est donc une plateforme d’accès inconditionnel aux soins de ces patients précaires. Nous avons bien compris qu’ils sont tout particulièrement à risque de formes graves d’infection à COVID et de transmission.

PR JACQUES BLACHER : Oui.

DR MALLET : D’accord. Comment fait-on pour isoler les patients identifiés comme étant COVID + afin d’éviter qu’ils le transmettent à la communauté des patients précaires ?

PR JACQUES BLACHER : L’agence régionale de santé travaille actuellement sur ce sujet et tente de consigner les patients en situation de précarité qui seraient COVID+ dans des structures non-collectives. C’est en cours de mise en place, je ne peux donc pas encore vous donner l’intégralité des informations sur ce sujet.

Il est cependant clair que dans ces structures d’hébergements comprenant des dortoirs avec des dizaines de personnes, la transmission est terriblement facilitée. Ce qui rend la situation difficile à gérer.

Pour ces populations, le confinement est donc peut-être encore plus important que pour les populations favorisées qui peuvent se confiner dans leur appartement.

DR MALLET : Les hôpitaux sont donc sensibles à ce sujet et mettent des choses en place.

Présentation du cas clinique

DR MALLET : Professeur Jacques Blacher, vous êtes cardiologue et responsable du Centre. Nous avons pour vous une question d’un médecin généraliste dans le 5e.

Je vois un homme de 60 ans avec une hypertension essentielle et un diabète de type 2. Il prend des irbésartans à visées antihypertensive et néphroprotectrice. Il a vu sur internet que certains antihypertenseurs dont l’irbésartan pouvaient aggraver les infections à COVID-19. 

Qu’en est-il ?

Réponse et discussion

PR JACQUES BLACHER : Nous sommes extrêmement sollicités par les patients, les médecins généralistes et les cardiologues pour répondre à cette question. Ils veulent savoir s’il y a lieu de modifier les traitements chroniques de patients hypertendus ou diabétiques qui prennent soit un inhibiteur de l’enzyme de conversion soit un antagoniste des récepteurs AT1 de l’angiotensine 2, c’est-à-dire les ARA 2.

La problématique n’est pas simple mais il faut, selon moi, individualiser la situation pour essayer de mieux la comprendre et ensuite définir une conduite à tenir. 

Il y a trois éléments à prendre en considération pour poser le problème.

Le premier est fondamental. À la surface de certaines cellules, notamment cardiaques mais aussi épithéliales pulmonaires, il y a un récepteur ACE2, c’est-à-dire l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2. Ce dernier va aider à l’intégration du COVID à l’intérieur de la cellule. En effet, le virus va s’accrocher sur ce récepteur. Or, cette accroche est nécessaire pour que le virus rentre dans la cellule.

Cela nous mène au deuxième point. L’expression de cette enzyme ACE2 est up-régulée par les IEC et les ARA2. La prise d’un traitement chronique par IEC et ARA 2 pourrait donc favoriser l’infestation virale et éventuellement la diffusion de l’infection au niveau pulmonaire. 

Le troisième point est d’ordre épidémiologique. Sur une étude chinoise provenant de Wuhan nous avons cherché les facteurs de risque de mortalité des patients hospitalisés pour un COVID. Nous avons mis en évidence, en dehors de l’âge, deux facteurs de risque de mortalité : l’hypertension artérielle et le diabète. 

Les patients qui ont une hypertension artérielle et/ou un diabète sont plus fréquemment traités par des IEC et des ARA2. La question qui se pose est donc de savoir si ce sont les IEC et ARA 2 qui sont délétères. 

La réponse de beaucoup de médecins est de se dire que même si le niveau de preuve est encore faible et dans l’attente d’une preuve supplémentaire, il est légitime de changer le traitement des patients qui prennent au long court un IEC ou un ARA2.

Il y a eu un papier dans The Lancet il y a une dizaine de jours. Cette lettre propose de remplacer les traitements par IEC et ARA2 chez les patients à risque de développer un COVID par d’autres médicaments qui ne vont pas interférer sur le récepteur ACE2, par exemple les antagonistes calciques.

Parmi les trois signataires de cette lettre publiée le 11 mars il y a un spécialiste de l’hypertension artérielle suisse. Il a convaincu la Société Suisse d’Hypertension artérielle de proposer à tous les praticiens de pouvoir remplacer les IEC et ARA2 par d’autres classes d’hypertenseurs. 

Faut-il suivre cette société suisse ou bien d’autres sociétés savantes de spécialistes de l’hypertension, notamment les sociétés française ou européenne qui recommandent de ne pas modifier le traitement ? 

À mon avis, il ne faut pas suivre les suisses et il ne faut pas modifier le traitement IEC ou un ARA2 pour traiter l’hypertension artérielle de ces patients. 

Et ce pour trois raisons. 

La première raison est physiopathologique. Il y a aujourd’hui une hypothèse alternative à l’effet délétère d’une up-régulation de ces récepteurs ACE2 à la surface de ces cellules épithéliales pulmonaires. 

Cette hypothèse alternative dit que ces récepteurs ACE2 vont dégrader l’angiotensine 2 en angiotensine 1.7. Cette dernière a des caractéristiques bénéfiques, en particulier vasodilatatrices, mais aussi au niveau pulmonaire. Ces essais bénéfiques pourraient limiter l’atteinte pulmonaire des patients déjà infectés. 

C’est une hypothèse suffisamment intéressante pour qu’il y ait aujourd’hui deux nouveaux essais – qui débutent tout juste – publiés sur Clinical Trial. Ils vont tester le fait de rajouter un sartan (en l’occurrence le Losartan) à des patients hospitalisés en réanimation pour voir si cela limite la gravité de l’infection et potentiellement la mortalité.

DR MALLET : Certains pensent que c’est délétère mais d‘autres pensent que cela pourrait être bénéfique. Le niveau de preuve est extrêmement faible donc rien ne dit de modifier les traitements.

PR JACQUES BLACHER : Exactement. La deuxième raison est la suivante.

Nous avons vu qu’il y a plus d’hypertendus et de diabétiques dans les patients morts du COVID mais nous avons eu aujourd’hui une nouvelle information intéressante.

Nous partageons une veille bibliographique au sein de la Société Française d’Hypertension artérielle et l’un d’entre nous a partagé une nouvelle information intéressante sur les patients décédés du COVID en Italie. 

Nous avons regardé si les IEC et ARA2 étaient surreprésentés dans la population morte du COVID. L’hypothèse est la suivante : s’ils sont délétères, ils devraient être plus représentés que chez les patients de population générale qui ne meurent pas du COVID. 

La réponse est que 75% des patients décédés du COVID étaient hypertendus. Cela était globalement attendu car l’âge et l’obésité sont deux facteurs confondants majeurs et à risque de mortalité en réanimation. Car plus on est âgé ou obèse, plus on est hypertendu. Selon cette observation, il n’y a donc pas de surreprésentativité des IEC et ARA2 chez les patients morts du COVID par rapport à ce qui est prescrit comme antihypertenseurs dans la population italienne. 

Nous avons donc une preuve physiopathologique avec une hypothèse alternative et une preuve, qui, même à faible niveau de preuve représente une information épidémiologique.

Il y a encore une troisième raison, cette fois clinique, qui doit pousser à ne pas modifier le traitement des hypertendus. Tout changement de traitement chez un patient porteur d’une maladie chronique correspond à une perte de sens pour le patient. 

S’il est bien contrôlé par son traitement, le fait d’en changer – dans l’hypertension mais aussi dans d’autres pathologies – va clairement modifier le contrôle et va générer des turbulences en termes d’efficacité et de tolérance du nouveau traitement. 

Cela va aussi générer de l’énergie et du temps de médecins pour faire en sorte que ce transfert de traitement se passe le mieux possible, c’est-à-dire avec un bon contrôle et une bonne tolérance. En effet, il faudra voir le patient ou lui téléphoner à plusieurs reprises pour être sûr que le nouveau traitement est aussi bien que le précédent.

Cependant, nous n’avons pas la possibilité de passer du temps à faire cela aujourd’hui si cela n’a pas de justification médicale, et je ne pense pas que cela en est. 

Il est donc urgent de ne pas modifier les traitements hypertenseurs qui contiennent des IEC et des ARA2.

DR MALLET : Très bien, c’est très clair. Le niveau de preuve est très faible. Je réponds donc à mon patient qu’en l’état actuel de la science, rien ne justifie de modifier ou suspendre son traitement, même pas par précaution. Au contraire, ce serait potentiellement délétère s’il devait attraper une infection par le COVID.

PR JACQUES BLACHER : Exactement.

Message de fin

PR JACQUES BLACHER : Deux derniers commentaires. 

Une patiente m’a expliqué qu’au nom du principe de précaution elle m’obligeait à modifier son traitement. Mais je ne l’ai pas fait. 

Il faut quand même se rappeler que ces médicaments (IEC, ARA2 et éventuellement les diurétiques chez les patients hypertendus) doivent être réduits de posologie ou arrêtés en cas de déshydratations, de chocs, d’insuffisances rénales aiguës. Ces recommandations persistent. 

Par contre, je ne dis pas qu’il faut continuer ces traitements dans des conditions qui les auraient habituellement fait arrêter.

DR MALLET : D’autant plus que le coronavirus localise parfois un tropisme vers le tube digestif et peut donner de grosses diarrhées. 

Merci beaucoup. Nous vous souhaitons bon courage et nous n’hésiterons pas à vous rappeler pour prendre des nouvelles.

Retranscription complète
Il n'y a pas encore de retranscription écrite pour cet épisode

À l’ère du COVID-19, nous lançons Radio Cochin, des séquences courtes et des messages clairs sur le coronavirus pour nos collègues de ville. 

Je suis Docteur Vincent Mallet, médecin à Cochin, Professeur des Universités de Paris et je m’entretiens avec le Professeur Jacques Blacher, Chef du Centre de Diagnostic et de Thérapeutique de l’Hôtel-Dieu.

DR MALLET : Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne votre centre et en quoi cette situation de crise a modifié votre activité ? 

PR JACQUES BLACHER : Cette crise a énormément modifié notre quotidien. Dans le centre de diagnostic nous avons différentes unités qui sont toutes ambulatoires, avec des patients qui viennent en consultations ou en hôpital de jour. 

Depuis la crise COVID nous avons extrêmement limité la venue des patients à l’hôpital en raison du confinement. 

Nous avons maintenu seulement la venue des patients instables ou nécessitant, suite à une téléconsultation, des examens cliniques, des mesures de pressions artérielles à réaliser à l’hôpital ou des réalisations d’électrocardiogrammes. 

Notre activité est réduite principalement à des consultations téléphoniques, avec environ 10% des patients qui nécessitent tout de même d’être vus dans un deuxième temps. C’est le cas pour les patients de l’unité cardiovasculaire et de l’unité VIH. 

En revanche, ce n’est pas le cas pour une unité un peu spécifique de notre service qui est la PASS, Permanence d’Accès aux Soins de Santé pour les patients précaires. Pour ces patients, nous faisons quelques consultations téléphoniques mais toujours beaucoup en présentiel. Ils viennent à l’hôpital pour différentes pathologies dont les pathologies COVID. 

Nous imaginons aisément que lorsque les patients vivent en foyers d’hébergements, le fait de savoir s’ils ont une atteinte COVID est importante pour eux et l’ensemble du foyer.

DR MALLET : Le centre de Diagnostic et de Thérapeutique comporte donc une unité spécialisée pour la prise en charge des patients précaires. Avez-vous mis en place des mesures de sanctuarisation et d’identification pour tester les malades ?

PR JACQUES BLACHER : Ces patients précaires viennent pour toute une série de pathologies car nous savons qu’ils n’ont pas d’autres alternatives qu’une prise en charge dans des structures dédiées. 

Ce sont des structures par ailleurs médico-sociales qui leur permettent une consultation médicale mais aussi avec un travailleur social pour ouvrir des droits, faire une demande de PASS, aider à trouver des aides ou un hébergement, entre autres.

Ces patients continuent donc à venir à l’Hôtel-Dieu. Dans ces unités PASS nous pouvons avoir une consultation médicale, sociale, mais aussi des explorations complémentaires biologiques ou radiologiques si besoin. Enfin, aussi une délivrance de médicaments pour les pathologies aigües ou chroniques de ces patients. 

Il est donc important de rester ouverts pour la prise en charge de ces patients qui, encore une fois, ne peut pas se faire ailleurs que dans ces unités PASS.

DR MALLET : C’est donc une plateforme d’accès inconditionnel aux soins de ces patients précaires. Nous avons bien compris qu’ils sont tout particulièrement à risque de formes graves d’infection à COVID et de transmission.

PR JACQUES BLACHER : Oui.

DR MALLET : D’accord. Comment fait-on pour isoler les patients identifiés comme étant COVID + afin d’éviter qu’ils le transmettent à la communauté des patients précaires ?

PR JACQUES BLACHER : L’agence régionale de santé travaille actuellement sur ce sujet et tente de consigner les patients en situation de précarité qui seraient COVID+ dans des structures non-collectives. C’est en cours de mise en place, je ne peux donc pas encore vous donner l’intégralité des informations sur ce sujet.

Il est cependant clair que dans ces structures d’hébergements comprenant des dortoirs avec des dizaines de personnes, la transmission est terriblement facilitée. Ce qui rend la situation difficile à gérer.

Pour ces populations, le confinement est donc peut-être encore plus important que pour les populations favorisées qui peuvent se confiner dans leur appartement.

DR MALLET : Les hôpitaux sont donc sensibles à ce sujet et mettent des choses en place. 

Professeur Jacques Blacher, vous êtes cardiologue et responsable du Centre. Nous avons pour vous une question d’un médecin généraliste dans le 5e.

Je vois un homme de 60 ans avec une hypertension essentielle et un diabète de type 2. Il prend des irbésartans à visées antihypertensive et néphroprotectrice. Il a vu sur internet que certains antihypertenseurs dont l’irbésartan pouvaient aggraver les infections à COVID-19. 

Qu’en est-il ? 

PR JACQUES BLACHER : Nous sommes extrêmement sollicités par les patients, les médecins généralistes et les cardiologues pour répondre à cette question. Ils veulent savoir s’il y a lieu de modifier les traitements chroniques de patients hypertendus ou diabétiques qui prennent soit un inhibiteur de l’enzyme de conversion soit un antagoniste des récepteurs AT1 de l’angiotensine 2, c’est-à-dire les ARA 2.

La problématique n’est pas simple mais il faut, selon moi, individualiser la situation pour essayer de mieux la comprendre et ensuite définir une conduite à tenir. 

Il y a trois éléments à prendre en considération pour poser le problème.

Le premier est fondamental. À la surface de certaines cellules, notamment cardiaques mais aussi épithéliales pulmonaires, il y a un récepteur ACE2, c’est-à-dire l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2. Ce dernier va aider à l’intégration du COVID à l’intérieur de la cellule. En effet, le virus va s’accrocher sur ce récepteur. Or, cette accroche est nécessaire pour que le virus rentre dans la cellule.

Cela nous mène au deuxième point. L’expression de cette enzyme ACE2 est up-régulée par les IEC et les ARA2. La prise d’un traitement chronique par IEC et ARA 2 pourrait donc favoriser l’infestation virale et éventuellement la diffusion de l’infection au niveau pulmonaire. 

Le troisième point est d’ordre épidémiologique. Sur une étude chinoise provenant de Wuhan nous avons cherché les facteurs de risque de mortalité des patients hospitalisés pour un COVID. Nous avons mis en évidence, en dehors de l’âge, deux facteurs de risque de mortalité : l’hypertension artérielle et le diabète. 

Les patients qui ont une hypertension artérielle et/ou un diabète sont plus fréquemment traités par des IEC et des ARA2. La question qui se pose est donc de savoir si ce sont les IEC et ARA 2 qui sont délétères. 

La réponse de beaucoup de médecins est de se dire que même si le niveau de preuve est encore faible et dans l’attente d’une preuve supplémentaire, il est légitime de changer le traitement des patients qui prennent au long court un IEC ou un ARA2.

Il y a eu un papier dans The Lancet il y a une dizaine de jours. Cette lettre propose de remplacer les traitements par IEC et ARA2 chez les patients à risque de développer un COVID par d’autres médicaments qui ne vont pas interférer sur le récepteur ACE2, par exemple les antagonistes calciques.

Parmi les trois signataires de cette lettre publiée le 11 mars il y a un spécialiste de l’hypertension artérielle suisse. Il a convaincu la Société Suisse d’Hypertension artérielle de proposer à tous les praticiens de pouvoir remplacer les IEC et ARA2 par d’autres classes d’hypertenseurs. 

Faut-il suivre cette société suisse ou bien d’autres sociétés savantes de spécialistes de l’hypertension, notamment les sociétés française ou européenne qui recommandent de ne pas modifier le traitement ? 

À mon avis, il ne faut pas suivre les suisses et il ne faut pas modifier le traitement IEC ou un ARA2 pour traiter l’hypertension artérielle de ces patients. 

Et ce pour trois raisons. 

La première raison est physiopathologique. Il y a aujourd’hui une hypothèse alternative à l’effet délétère d’une up-régulation de ces récepteurs ACE2 à la surface de ces cellules épithéliales pulmonaires. 

Cette hypothèse alternative dit que ces récepteurs ACE2 vont dégrader l’angiotensine 2 en angiotensine 1.7. Cette dernière a des caractéristiques bénéfiques, en particulier vasodilatatrices, mais aussi au niveau pulmonaire. Ces essais bénéfiques pourraient limiter l’atteinte pulmonaire des patients déjà infectés. 

C’est une hypothèse suffisamment intéressante pour qu’il y ait aujourd’hui deux nouveaux essais – qui débutent tout juste – publiés sur Clinical Trial. Ils vont tester le fait de rajouter un sartan (en l’occurrence le Losartan) à des patients hospitalisés en réanimation pour voir si cela limite la gravité de l’infection et potentiellement la mortalité.

DR MALLET : Certains pensent que c’est délétère mais d‘autres pensent que cela pourrait être bénéfique. Le niveau de preuve est extrêmement faible donc rien ne dit de modifier les traitements.

PR JACQUES BLACHER : Exactement. La deuxième raison est la suivante.

Nous avons vu qu’il y a plus d’hypertendus et de diabétiques dans les patients morts du COVID mais nous avons eu aujourd’hui une nouvelle information intéressante.

Nous partageons une veille bibliographique au sein de la Société Française d’Hypertension artérielle et l’un d’entre nous a partagé une nouvelle information intéressante sur les patients décédés du COVID en Italie. 

Nous avons regardé si les IEC et ARA2 étaient surreprésentés dans la population morte du COVID. L’hypothèse est la suivante : s’ils sont délétères, ils devraient être plus représentés que chez les patients de population générale qui ne meurent pas du COVID. 

La réponse est que 75% des patients décédés du COVID étaient hypertendus. Cela était globalement attendu car l’âge et l’obésité sont deux facteurs confondants majeurs et à risque de mortalité en réanimation. Car plus on est âgé ou obèse, plus on est hypertendu. Selon cette observation, il n’y a donc pas de surreprésentativité des IEC et ARA2 chez les patients morts du COVID par rapport à ce qui est prescrit comme antihypertenseurs dans la population italienne. 

Nous avons donc une preuve physiopathologique avec une hypothèse alternative et une preuve, qui, même à faible niveau de preuve représente une information épidémiologique.

Il y a encore une troisième raison, cette fois clinique, qui doit pousser à ne pas modifier le traitement des hypertendus. Tout changement de traitement chez un patient porteur d’une maladie chronique correspond à une perte de sens pour le patient. 

S’il est bien contrôlé par son traitement, le fait d’en changer – dans l’hypertension mais aussi dans d’autres pathologies – va clairement modifier le contrôle et va générer des turbulences en termes d’efficacité et de tolérance du nouveau traitement. 

Cela va aussi générer de l’énergie et du temps de médecins pour faire en sorte que ce transfert de traitement se passe le mieux possible, c’est-à-dire avec un bon contrôle et une bonne tolérance. En effet, il faudra voir le patient ou lui téléphoner à plusieurs reprises pour être sûr que le nouveau traitement est aussi bien que le précédent.

Cependant, nous n’avons pas la possibilité de passer du temps à faire cela aujourd’hui si cela n’a pas de justification médicale, et je ne pense pas que cela en est. 

Il est donc urgent de ne pas modifier les traitements hypertenseurs qui contiennent des IEC et des ARA2.

DR MALLET : Très bien, c’est très clair. Le niveau de preuve est très faible. Je réponds donc à mon patient qu’en l’état actuel de la science, rien ne justifie de modifier ou suspendre son traitement, même pas par précaution. Au contraire, ce serait potentiellement délétère s’il devait attraper une infection par le COVID.

PR JACQUES BLACHER : Exactement. Deux derniers commentaires. 

Une patiente m’a expliqué qu’au nom du principe de précaution elle m’obligeait à modifier son traitement. Mais je ne l’ai pas fait. 

Il faut quand même se rappeler que ces médicaments (IEC, ARA2 et éventuellement les diurétiques chez les patients hypertendus) doivent être réduits de posologie ou arrêtés en cas de déshydratations, de chocs, d’insuffisances rénales aiguës. Ces recommandations persistent. 

Par contre, je ne dis pas qu’il faut continuer ces traitements dans des conditions qui les auraient habituellement fait arrêter.

DR MALLET : D’autant plus que le coronavirus localise parfois un tropisme vers le tube digestif et peut donner de grosses diarrhées. 

Merci beaucoup. Nous vous souhaitons bon courage et nous n’hésiterons pas à vous rappeler pour prendre des nouvelles.

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